Les Mille et Une Nuits, Les Lettres persanes, Lettres d’une Péruvienne : Dans la littérature du XVIIIème siècle, l’étranger était souvent présent. D’où vient cet intérêt pour l’exotique, comment l’exotique se manifeste dans la littérature et quelles conséquences a eu l’intégration de l’exotique dans la littérature?Le texte suivant vise à répondre toutes ces questions concernant l’exotisme dans la littérature du XVIIIème siècle.
Mais qu’est-ce que ça veut dire, l’exotisme ? Le mot ‘exotisme’ vient du grec ‘exoticos’, qui vient de 'l’étranger'. Dans les arts, l’exotisme décrit l’intégration d’un éloignement spatial ou temporel qui est inconnu ou mal connu par l’audience. Donc, le lecteur sort de son cadre de référence et est confronté avec une nouvelle situation.
La traduction de l'arabe vers le français du récit Les Mille et Une Nuits dans les premières années du 18e siècle est un évènement clé pour l'exotisme. Le public montrait beaucoup d’intérêt pour cette traduction de Les Mille et Une Nuits et était fasciné par l’étranger. De plus, d’autres récits de voyageurs ont supplémentairement renforcé l’intérêt pour l’étranger. Cette thématique était reprisée par les arts et l’exotisme était en vogue. L’exotisme ne se concentrait pas seulement sur l’Orient mais concernait aussi sur l’Amérique ou l’Océanie. L’Amérique et l’Océanie étaient considérées comme des paradis d’innocence ou de pureté. Il est également important de noter que l’exotisme était fortement influencé par des voyageurs et que peu de personnes avaient eu un contact direct avec l’exotique.
Malgré les différentes formes d'exotisme, c'est surtout l'orientalisme qui est associé à l'exotisme. La cause de cette perception est évidente : Les philosophes des Lumières ont fortement utilisé l’Orient pour critiquer la société occidentale et ils ont projeté leurs idéaux sur la société orientale. L’orientalisme dans la littérature peut être distingué en trois formes principales : la féerie orientale, l’Orient galant et la satire orientale. Comme les deux textes Lettres d’une Péruvienne et Lettres persanes sont de la satire orientale, ce blog se concentre sur cette forme de l’exotisme.
La satire orientale est probablement la forme la plus connue : Des grandes figures comme Voltaire, Montesquieu ou Diderot ont utilisé la satire orientale dans leurs oeuvres. Lettres persanes, écrit par Montesquieu et publié en 1721, par exemple, aborde des sujets complexes et controversés comme le règne de Louis XIV, des questions d’économie, de mode ou de religion. Tous ces thèmes sont abordés de manière amusante et rafraîchissante, permettant aux lecteurs de réfléchir à ces sujets avec un sourire.
Le schéma narratif et la structure de la littérature de l’exotisme suivent le même modèle dans presque tous les oeuvres : Une personne étrangère à la culture, aux valeurs et aux normes occidentales traverse la France et observe, commente et se moque des traditions européennes qui n’étaient jamais remis en question jusqu’à ce moment. Une autre caractéristique est le style de texte en forme de lettres. Les récits comme Lettres persanes ou Lettres d’une Péruvienne sont racontés avec des lettres écrites par les personnages principaux. Cette forme permet le lecteur de suivre l’histoire en direct, sans avoir une instance narrative dominante.
L’exotisme n’était pas seulement un phénomène basé sur l’intérêt du peuple. Les auteurs du XVII siècle utilisaient l’exotisme – particulièrement l’Orientalisme – pour atteindre certains objectifs. Comme déjà mentionné avant, la satire orientale était un moyen utilisé par de grands auteurs comme Voltaire, Montesquieu ou Diderot. Grace à l’Orientalisme, les auteurs profitaient de pouvoir critiquer les autorités, réfléchir sur les valeurs françaises et imaginer des pays idéaux.
Sous le règne de Louis XIV, la liberté de l’expression n’était pas assurée. En particulier, critiquer le roi était difficile et on a risqué d’être censuré. Pour contourner ces censures, les auteurs utilisaient différentes techniques littéraires, dont l’une était l’exotisme.
L’exotisme était un bon outil pour critiquer les autorités parce que les auteurs pouvaient donner leur opinion de façon indirecte. Mais comment c’était fait exactement?
Si les auteurs voulaient critiquer les autorités, ils utilisaient par exemple des personnages étrangers qui visitaient par hasard la France. Au cours de ce voyage, ces personnages rencontraient une figure d’autorité qui leur paraissait très comique ou incompétente.
En formulant leurs critiques ainsi, les auteurs pouvaient toujours dire que ce n’était pas leur propre opinion, mais celle d’un étranger. C’était une ruse simple pour se distancer efficacement de leur oeuvre.
De plus, les auteurs utilisaient d’autres moyens pour contourner la censure. Souvent, ils se distançaient de leurs oeuvres, prétendant n’être que les traducteurs de ces récits et que ce n’était pas leur propre opinion. Certains auteurs ont même publié leurs oeuvres anonymement, comme Montesquieu avec son oeuvre Lettres persanes. Cependant, l’influence de ces moyens est discutable : Le public et les autorités savaient bien sûr qui étaient les véritables auteurs. Pourquoi la publication de ces oeuvres n’a malgré tout pas été empêchée, reste ouvert. Une spéculation est que la distance apparente entre les oeuvres et leurs auteurs permettait les censeurs de fermer les yeux sur ces oeuvres. Une petite anecdote illustre le paradoxe assez bien : Avant d’être accepté comme membre de la fameuse Académie française, Montesquieu devait insister que ce fussent seulement les persanes qui avaient critiqué l’Académie française et non lui-même. Pourtant, personne ne remettait en question l’origine de Lettres persanes.
C’était toujours un jeu entre l’auteur qui veut que la publique sache que les oeuvres sont de lui mais en même temps il doit s’en distancer.
L’exotisme n’était pas seulement utilisé pour éviter la censure des autorités mais aussi pour s’attaquer aux problèmes sociaux. Grâce à l’exotisme, les auteurs disposaient d’un nouvel outil qu’ils utilisaient habilement.
L’introduction des personnages étrangers à la France était aussi une possibilité pour faire remarquer des injustices injustes ou des absurdités dans la société française. Ces personnes ne savaient pas les règles de la société, ce qui leur permettait de jeter un nouveau regard sur des réalités figées dans les structures sociales. Pour populariser ces histoires et leurs idées, les auteurs rendaient leurs oeuvres amusantes. Ils emballaient leurs critiques dans des récits drôles, qui se diffusaient rapidement. Ces histoires déclenchaient des débats, et ainsi, les idées des auteurs avaient le potentiel de réellement changer quelque chose.
L’archétype d’une histoire dans laquelle une personne étrangère vient en France et remarque des choses n’était pas, comme déjà mentionné, le seul schéma narratif qu’une oeuvre d’exotisme pouvait suivre. L’archétype d’une personne française qui visite un pays étranger était aussi très courant et exactement ce schéma était souvent utilisé pour projeter des images idéalisées sur une culture étrangère.
Les auteurs ne pouvaient pas attaquer directement le système français ni proposer ouvertement leurs systèmes alternatifs, car cela aurait pu conduire à l'emprisonnement ou à la peine de mort. C’est pourquoi ils utilisaient la ruse de la projection. Ils rencontraient des histoires dans lesquelles des personnes françaises visitent une civilisation étrangère qui fonctionne, par hasard, selon le système proposé par l’auteur. Ainsi, ils ne proposaient pas ouvertement un changement pour la France, mais suggéraient des alternatives lointaines. Pour ça ils n’étaient pas coupables. Ils pouvaient éviter de dire que le système actuel en France était mauvais parce que le lecteur, guidé par le récit, pouvait arriver lui-même à cette conclusion.
Un autre avantage était que si une autorité voulait les rendre responsables, les auteurs pouvaient toujours prétendre que ce n’était pas leur opinion et qu’ils donnaient seulement l’image d’une civilisation moins développée que la France. Ils avaient une option très simple pour se distancer de leurs textes.
Même si l’exotisme était utilisé pour beaucoup de bonnes choses au XVIII siècle, comme par exemple contourner la censure, l'exotisme a aussi eu des effets secondaires. Le plus évident est probablement le racisme.
Les oeuvres de l’exotisme ne donnaient pas une image objective des civilisations étrangères mais une image construite. Les civilisations et les étrangers de ces oeuvres étaient inventés pour servir un but. Même si ce n'était pas intentionnel, l’exotisme a véhiculé de préjugés qui se diffusaient dans la société. Beaucoup d’entre eux ont survécu jusqu'à aujourd'hui.
Plus tard les préjugés sont devenus une base pour la popularisation des théories raciales. Évidemment, l’exotisme n’était pas le facteur principal pour populariser ces théories, mais c’est important de remarquer que l’exotisme jouait un certain rôle dans la popularisation.
Pour conclure, l’exotisme était un courant littéraire important au XVIIIème siècle, utilisé par des philosophes des Lumières très connus. D’une part, la société était fascinée par l’étrangeté et par les idées nouvelles exprimées dans les oeuvres exotiques. D’autre part, l’exotisme était un moyen efficace et relativement sûr pour critiquer les autorités françaises – notamment le roi Louis XIV – et questionner les normes de la société occidentale. De cette manière, la littérature de l’exotisme a contribué à éduquer la société française et reste une source pertinente d’informations sur l’époque de Louis XIV.
On peut critiquer – particulièrement en relation avec la sensibilité pour discrimination dans la société actuelle – que l’exotisme base et renforce des stéréotypes sur les sociétés ‘exotiques’. En somme, l’exotisme jouait un rôle important en critiquant les autorités.